Délai biennal de la garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ?
Par un arrêt du 4 septembre 2024, n° 23-14.650, la première chambre civile de la Cour de cassation énonce que le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés de la chose vendue est un délai de prescription, délai qui est suspendu entre l’ordonnance désignant l’expert et la date du dépôt de son rapport.
En l’absence de précision du législateur qui se contente d’énoncer le délai, sans préciser s’il s’agit d’un délai de prescription ou de forclusion (article 1648-1 du Code civil « l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice »), les différentes chambres de la Cour suprême ont adopté des positions contradictoires.
Or, la nature du délai est lourde de conséquences juridiques dans la pratique.
En effet, si l'interruption du délai par l'introduction d'une demande en justice demeure commune aux délais de prescription et de forclusion (article 2241 du Code civil), l'effet interruptif se prolongeant jusqu'à l'extinction de l'instance, le délai de forclusion demeure, quant à lui, insusceptible de suspension (article 2239 du Code civil).
Il en résulte que, dans l’hypothèse où le délai biennal d’action en garantie des vices cachés est un délai de prescription, l’assignation en référé interrompt le délai et les opérations d’expertises le suspendent, de sorte que le délai ne recommence à courir qu’à compter de la date du dépôt du rapport d’expertise. En revanche, dans l’hypothèse où le délai est un délai de forclusion, bien que l’assignation en référé interrompe le délai, le demandeur dispose d’un délai de deux ans pour assigner au fond à compter de la date de l’ordonnance de référé, à peine de forclusion.
Ce débat a fait l’objet d’opposition entre les 1ère et 3ème chambres civiles de la Cour de cassation.
La 3ème chambre considérait que le délai de deux ans offert à l'acquéreur pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés est un délai de forclusion (Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22.670, Civ. 3e, 10 nov. 2016, n° 15-24.289 ; Com. 8 juill. 2020, n° 19-14.353).
La 1ère chambre considérait quant à elle qu’il s’agissait d’un délai de prescription (1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 18-24.365 ; 1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.824 ; 1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.070 ; Com., 28 juin 2017, pourvoi n° 15-29.013).
Par un arrêt de la chambre mixte du 21 juillet 2023, la Cour de cassation a énoncé que « les exigences de la sécurité juridique imposent de retenir une solution unique. Dans le silence du texte, il convient de rechercher la volonté du législateur.
(…)
L'objectif poursuivi par le législateur étant de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d'une réparation en nature, d'une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d'un vice caché, l'acheteur doit être en mesure d'agir contre le vendeur dans un délai susceptible d'interruption et de suspension.
L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger que le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil est un délai de prescription. »
Ainsi, le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés est susceptible d’interruption et de suspension selon les règles du droit commun.
Ledit délai est donc interrompu par une assignation en référé, conformément à l'article 2241 du Code civil, et suspendu, lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, en application de l'article 2239 du même code, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure d’expertise a été exécutée.
En optant pour la position prise par la 1ère chambre civile, la chambre mixte de la cour suprême veut faire preuve de pragmatisme. Pour autant, les parties et leurs conseils devront veiller, notamment en cours d’expertise, à introduire leur action au fond sitôt que le vice caché devra être considéré comme « découvert ».
Gilles-Eric de BIASI et Magali BIDE